Notre interview ultra-privée de Frank Leduc

 

Frank Leduc
Photo (c) Nathalie Vergès

Frank Leduc, dont le roman "Le chaînon manquant" sort le 8 Juillet 2021 aux deux éditions Pocket a accepté gentiment de répondre à nos questions indiscrètes !


Écris-tu tes romans dans l’ordre dans lequel on les lit ou chaque partie chronologiquement et tu les mélanges après lors de la mise en page ? 

Je n’écris pas de façon chronologique. Je crois être un peu original de ce côté-là. Mes intrigues sont très construites, structurées à l’avance, c’est ce qui me permet cette fantaisie. Je passe un temps préalable important à travailler sur le plan des chapitres, les personnages, les rebondissements, la fin, la documentation. Ensuite seulement, je passe à l’écriture, un peu comme un cinéaste ou un architecte (enfin j’imagine parce que je ne suis ni cinéaste ni architecte). Je commence toujours par les chapitres prépondérants (ceux pour lesquels j’ai décidé d’écrire l’histoire). Ce sont les fondations de mon intrigue, ceux qui ne doivent surtout pas être ratés. Ensuite, lorsque j’en suis satisfait, je passe aux chapitres secondaires, puis à ceux de transition. Paradoxalement ce sont ces derniers qui requièrent toujours le plus de temps. Pour être intéressants, ils nécessitent de porter une énergie intérieure indépendante du reste de l’histoire. Dans mon écriture je cherche à créer un effet « page turner » et pour que le souffle ne retombe pas, ces passages au rythme mécaniquement plus lent doivent se mettre au niveau !  Ce sont aussi eux qui permettent d’installer les personnages, de parler de leurs ambitions, de leurs rêves, de leurs fêlures. Pour embarquer le lecteur, les chapitres de transitions sont primordiaux.  

C’est une façon d’écrire, plus qu’une technique ou un style, qui me permet de mettre de la dynamique, de rompre la monotonie de l’écriture et de ne pas rester bloquer sur un passage. Connaître à l’avance ce qui va se passer à chaque étape me permet également de garder une cohérence dans mes récits, d’orchestrer les suspenses, les rebondissements, les fausses pistes, l’évolution des personnages. 


Sais-tu dès le départ comment va se terminer ton histoire ou te laisses-tu emporter par tes personnages ? 

À l’intérieur de mon plan les choses bougent un peu durant l’écriture. Comme disait Aimé Césaire : « Il faut savoir rester poreux à tous les souffles du monde. ». J’aime bien cette idée, notamment en écriture. Mais je respecte une cohésion globale préétablie. Dans Cléa par exemple, j’ai fait des changements structurant durant l’écriture. Même si la fin reste à peu près celle que j’avais prévu, à l’intérieur il y a eu un big bang ! Notamment l’un des personnages (Elisabeth Arcangelli) qui a pris une importance que je ne lui avais pas attribué dès le départ. Elle est devenue le personnage central de l’histoire, elle s’est imposée, en quelque sorte. C’est elle le centre d’inertie de l’intrigue, mais ça ne m’est venu qu’à l’écriture, progressivement. 

As-tu déjà plusieurs idées en tête pour des prochains romans ? 

Oui, beaucoup. J’ai un vivier d’intrigues en cours de construction. C’est plein de petits éléments qui s’ajoutent les uns aux autres pour un jour faire un bon sujet. Lorsque je commence un roman j’essaie d’avoir 3 idées en tête ; une idée d’intrigue, une idée de personnage, et une idée qu’on n’attendait pas. Quelque chose d’original, d’un peu exceptionnel, qui va accrocher le lecteur, provoquer un effet « Whaou ».  Tant que je n’ai pas cette troisième idée je ne commence pas. Par exemple dans La mémoire du temps, cette 3e idée est la mémoire héréditaire. C’est une amie à moi neurologue qui m’a mis sur la voix.  Je n’étais pas parti là-dessus au départ, mais sur le dernier vol du zeppelin Hindenburg, pourtant c’est la mémoire intergénérationnelle qui donne le relief de l’histoire, qui embarque tout le monde à bord du dirigeable, car on s’est tous interrogé au moins une fois là-dessus, alors on est tous concerné ! On a envie de savoir le « pourquoi » ! 


Quelles sont tes sources d’inspiration ? 

Un peu tout. Toujours comme Aimé Césaire…  Je lis beaucoup, je suis passionné d’Histoire, de science au sens large et de faits divers. Mes sujets de curiosité sont très variés. Depuis que j’écris des romans, lorsque je m’intéresse à un sujet je me demande toujours si je pourrais y glisser une intrigue à l’intérieur... C’est devenu une déformation, presque une obsession, j’y pense tout le temps. Ça fait rire mes amis. 

As-tu un carnet sur ta table de nuit pour noter des idées ?

Oui. Ça aussi c’est devenu une déformation. Beaucoup d’auteurs que je connais le font également. Parce que les idées qui viennent durant la nuit, les mots, les formulations, si on ne le note pas on les oublie. Moi je dors avec mon ordinateur sur la table de nuit. Avant-hier, je me suis réveillé à 1h du matin avec l’idée de réécriture d’un chapitre qui me posait du tracas depuis plusieurs semaines. La même scène mais vu par un personnage très secondaire, ce qui fait naître un suspense sur ce qu’en pense réellement l’héroïne, qu’on n’a pas si on voit les choses par son prisme. J’ai terminé vers 5h ... Et puis je me suis recouché. C’est la bonne version, parfaite, je n’y retoucherai pas. Pourquoi ça m’est venu ce jour-là et à ce moment-là de la nuit, je ne sais pas, il y a quelque chose de mystérieux derrière tout ça.

Le développement des réseaux sociaux rend t-il plus difficile ou plus facile le contact avec les lecteurs ? 

Indéniablement plus facile. C’est une fenêtre sur les autres et sur le monde. Un contact direct ! Je réponds à tous les messages que je reçois. Parfois avec un petit temps. Je trouve ça tellement formidable de vivre ça. Je suis heureux que ce que j’écris plaise aux gens. Le moment où ça va s’arrêter me fait un peu peur.

As-tu déjà été agressé sur les réseaux ? 

Ça m’est arrivé oui, pas souvent heureusement, mais ça m’est arrivé. Notamment pour Cléa. Je crois qu’à partir du moment où on écrit d’une façon « commerciale », qu’on vend quelques milliers de livres, c’est inévitable. J’écris des intrigues qui ne sont pas neutres, qui portent un regard différent, une certaine résonnance. Je ne sais pas si j’ai du talent mais je suis original, j’ai le goût du pas de côté, et ça présente quelques risques. Je suis volontairement et philosophiquement bienveillant avec les autres. Je me dis que celui qui me traite de tous les noms pour une idée qui ne lui a pas plu dans un de mes romans doit avoir des problèmes autrement plus sérieux dans sa vie de tous les jours. Que sa colère à mon encontre est une sorte pis-aller, que ça n’existe pas vraiment, que peut-être ça l’aide à trouver sa place. Je le vis bien. Quand je le peux j’efface les messages désobligeants, quand je ne peux pas… ben je les laisse. 


Écris-tu le premier jet de tes romans à la main ou directement sur l’ordi ? 

J’écris sur ordi. La façon dont je procède ne serait pas possible à la main. Je travaille d’une façon inversée, en reflet. J’y revient trop. Je peux réécrire un chapitre 10 fois tant que je n’en suis pas satisfait, ça serait impossible avec un papier et un crayon.

L’écriture est-elle un changement majeur dans ta vie ? Quelle place a telle pris ? 

Après le Grand Prix Femme Actuelle je répétais souvent que ça n’avait pas changé mon quotidien. En surface c’était vrai, mais en profondeur ça ne l’était pas. J’ai eu besoin d’un peu de temps pour assumer ce qui m’était arrivé et pour me reconnaître comme auteur. Ça a décalé la boussole de ma vie. Aujourd’hui j’écris énormément, tout le temps, plusieurs heures par jour. C’est dangereux l’écriture, ce n’est pas tout à fait sans conséquence. Comme la lecture d’ailleurs. Un livre peut changer notre vie. Ça vous ouvre les yeux. Ça allume la lumière. Le mystère d’un texte qui vous dit « il va falloir penser différemment ». Le revers de la médaille, pour l’écriture, c’est que c’est chronophage et que ça exclut un peu, socialement. On a progressivement tendance à refuser les sollicitations pour rester seul. Un puis un jour, les sollicitations deviennent plus rares, alors officiellement on est un ours ! Il faut faire attention avec ça, je crois. Heureusement, il me reste encore quelques amis, ours aussi, des fidèles très tolérants (rire) 

Utilises-tu la personnalité de tes connaissances pour créer certains de tes personnages ?

Ça m’arrive, oui. Pas tellement pour les personnalités qui sont imaginaires, mais pour le physique oui, ça peut. Ça m’aide à incarner les personnages. 

Quelle a été la réaction de ton entourage quand tu as décidé d’écrire ton premier roman (enthousiaste ? Sceptique ? ….) 

Hormis à quelques intimes, je n’en parlais jamais. L’écriture d’un roman est un chemin personnel, hasardeux, les chances de réussite peu élevées. Ce sont des centaines, des milliers d’heures de travail, d’enthousiasme, d’énervement, de renoncement, d’euphorie parfois, qu’on soumet à appréciation. Donner un manuscrit à lire à des amis c’est un peu comme se mettre tout nu devant eux et leur demander ce qu’ils en pensent ! Et il ne fait pas chaud tout de suite. Vous êtes dans un état de vulnérabilité émotionnelle anormal. Je l’ai perçu comme ça. Dans la vie, changer de case est toujours compliqué, et pas qu’en écriture. Vos amis n’imaginent pas que vous pouvez faire quelque chose de très différent de ce qu’ils connaissent déjà de vous. C’est notre esprit manichéen qui est construit comme ça, plus ou moins. Or on porte tous en nous un petit feu, quelque chose de secret, d’inattendu.


Si tu devais choisir un de tes personnages avec qui déjeuner, lequel choisirais-tu ? Pourquoi ? 

Je crois que je ferais plutôt une soirée parce qu’il y a du monde. J’inviterai Adrien Sandgate pour me parler du Codex Vaticanus. Elisabeth Arcangelli m’amuserait beaucoup. François Strootman me ferait revivre sous hypnose l’histoire de mes ancêtres pour comprendre qui je suis. Shana Stenford me passionnerait sur nos origines, et…  j’en tomberais peut-être un peu amoureux aussi. On passerait une rudement bonne soirée !

En quel animal aimerais-tu être réincarné ? 

Quelle drôle d’idée. Pas en truc trop visqueux, pas beau ou qui pique. En chat, certainement, pour être libre, élégant et indépendant. Ou en oiseau, pour les mêmes raisons. 

Quels sont tes projets ? As-tu des scoops ?

Un nouveau recueil de nouvelles qui devrait sortir cet automne. Il est toujours co-écrit avec trois romancières célèbres ainsi qu’un photographe de talent, mais chut… c’est une surprise. 

La réédition chez Pocket de Cléa et de La mémoire du temps, probablement en 2022. 

Et la sortie de mon quatrième roman, j’espère en 2022. Titre provisoire « Inside », vous n’en saurez pas davantage (rire).


Merci infiniment les Gabian’s de Marseille de m’avoir proposé ce long entretien. Vous m’avez réchauffé le cœur (à prononcer avec l’accent de Raimu). J’aime beaucoup ce que vous faites et le ton avec lequel vous le faites. J’adore !  Continuez ainsi et méfiez-vous des galéjades. 

Amitiés,


Frank Leduc
photo (c) Nathalie Vergès




Commentaires

  1. Merci beaucoup mes amis du blog du gabian 🙏🦤 🙂.
    J'ai pris beaucoup de plaisir à faire cet entretien avec vous.
    Amitiés.
    Frank

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Quel bonheur de savoir qu’il y a beaucoup de choses à venir bientôt 😊 Je n’ai pas compris le sentiment d’ inquiétude que cela s’arrête : pourquoi est-ce que ça devrait forcément s’arrêter ?

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    1. Tout à une fin Isabelle 😞. Sauf la banane qui en a deux. Mais on n'en est pas encore là 🙂 Merci pour votre petit mot.

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  4. "Inside "?????
    L espoir de le lire me reconforte. J attends avec impatience

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